EDUDOCS ex classedu

Accueil > Amphi ClassEdu > Quelques éléments de réflexion sur la construction du nombre

Quelques éléments de réflexion sur la construction du nombre

dimanche 24 janvier 2021, par phil

1- Les deux chemins vers le nombre

- Le chemin “américain” : Aux Etats Unis, l’outil utilisé est exclusivement le comptage oral (les mots-nombres). C’est la culture du comptage.
- Dans les pays asiatiques et chez les enfants sourds profonds de naissance, le comptage oral apparaît tardivement, d’autres outils culturels sont à leur disposition.

Description du cheminement d’un jeune enfant :

- L’enfant apprend la comptine numérique vers trois, quatre ans : il a appris par cœur la suite de mots, la suite verbale.
- Mais cela ne suffit pas pour savoir compter. Il n’y a pas correspondance terme à terme entre la désignation d’objets et l’oralisation, pas de coordination entre désignation des objets et récitation du mot-nombre.
- Quand on demande à l’enfant combien il y a d’objets, il récite à nouveau la suite numérique !!

Comment comprendre un tel phénomène ?

- Selon Roche Gelman (INRP), les enfants savent compter de manière précoce, ils savent que, quand on compte, il y a “x” objets correspondants, mais ils doivent alors mobiliser toutes leurs connaissances en même temps ; d’où l’énumération et l’incapacité à utiliser leurs connaissances de façon coordonnée parce qu’ils sont submergés par la tâche : FAIRE UN DENOMBREMENT ET DIRE LES NOMBRES

- Un autre point de vue est développé par Fuson : pour l’enfant, le comptage-numérotage, c’est comme s’il distribuait des dossards ; il les compte comme des numéros. Le comptage oral crée un obstacle langagier à la dénomination du nombre. Aujourd’hui, c’est cette hypothèse qui est retenue par la plupart des chercheurs.

Les américains peuvent dépasser cet obstacle langagier. Certains enfants utilisent le comptage-numérotage de façon pertinente : Ils ne sont pas encore capables de dénommer les nombres mais sont capables, si une collection est plus grande que l’autre, de le dire avec le comptage-numérotage.

Tâches favorisant la dénomination du nombre

- On peut mettre l’enfant face à une tâche qui favorise la dénomination du nombre : on le met face à une collection nombreuse (20) et on demande qu’il apporte 7 objets parmi ces 20, plutôt que de lui demander combien il y en a (ce qui n’est pas la même tâche !). Les enfants essaient de donner du sens à ce que dit l’adulte pour construire leurs connaissances : “donne-moi 7 crayons”, c’est la valeur cardinale, c’est la quantité. L’enfant se dit “lui, il veut que je compte !”, donc il compte mais c’est difficile de s’arrêter. L’adulte insiste “7 crayons”, l’accent est mis sur “7”. L’enfant s’arrête alors, il a créé une collection et est valorisé. Il construit et accède ainsi à la valeur cardinale du nombre.

- Les jeux avec dé : il y a configuration spatiale des points, pas forcément du nombre. C’est l’ensemble qui est considéré d’où l’importance des constellations en général.

- Dès que l’enfant entre dans le calcul (2 et 2 ça fait 4), chacun des mots désigne une quantité (référence à la TV où la “2” et la “3” n’ont aucun rapport avec la “5” !)

Comment l’enfant entre-t-il dans le calcul ?

“j’ai 4 jetons dans ma poche gauche, 3 dans la droite. Combien y en aura-t-il si je les mets sur la table ?” En GS, l’enfant dit 1,2,3,4 (il montre les doigts d’une main) puis 1,2,3 (idem avec l’autre main), il recompte le tout avec ses doigts : c’est la collection témoin.

- Au CP, il dessine sur l’ardoise et

- recompte le tout (première procédure)
- surcompte (deuxième procédure)

Certains enseignants enseignent le surcomptage : “tu mets 9 dans ta tête, 7 sur les doigts,...”

2- Quels choix ?

- A quel moment enseigne-t-on le comptage oral ?
- Doit-on enseigner explicitement le surcomptage ou pas ?

Brissiaud est contre l’enseignement explicite du surcomptage, contre son apprentissage surtout sur file numérique. Il préfère créer des situations-problèmes qui permettent aux enfants d’inventer le surcomptage (mais sans qu’il y ait valorisation par le maître afin que chacun l’invente et non le “copie” sans le découvrir lui-même, ce qui est souvent source d’erreurs).

Stratégie de calcul numérique : décomposition/recomposition :

Elle est plus tardive : ex. 6+7 = 6 et 6 (=12) et 1 = 13 Le matériau verbal est répétitif et certains doubles sont mémorisés de manière précoce. Mais l’usage de la stratégie de décomposition/recomposition peut n’apparaître qu’au CE2, même si les doubles sont connus dès le CE1, car l’enfant doit faire référence au répertoire additif mémorisé. La quasi totalité du répertoire additif n’est mémorisée qu’en fin de CE2 voire début de CM1.

Aujourd’hui, tous les chercheurs sont d’accord pour dire que les jeunes enfants savent calculer avant de savoir compter (cf travaux de 1992 en particulier aux Etats-Unis).

(...)

Dans les milieux favorisés, les parents mettent en mots les nombres dans des conditions variées et non uniquement sur le comptage verbal, alors que dans les milieux défavorisés seul est valorisé le comptage verbal (donc le comptage-numérotage). Un exemple de situation expérimentale : L’étude porte sur des comportements verbaux mère-enfant. L’enfant est âgé de 22 mois. Il s’agit pendant dix minutes de parler à son enfant, la conversation étant filmée puis analysée. Voilà un des corpus enregistré : “Tu vois, il y a 4 caméras, regarde une, puis une, puis une, puis une” (elle les montre du doigt à tour de rôle). On constate ici une logique de calcul. Les pratiques langagières variées vont permettent à l’enfant de surmonter plus facilement les obstacles du comptage langagier.

Comment enseigner en PS ?

Trois gâteaux : “avant de les manger, dis-moi combien il y en a ?”

- L’enseignant “compteur”, comme aux E.U., dit : “tu vas manger 1, 2, 3 (il désigne 1, puis 2, puis 3), tu vas manger 3 gâteaux (avec geste qui renvoie à l’ensemble).

- L’enseignant “calculateur” va dire : “est-ce que ce sont 2 gâteaux comme ça ?” (en montrant 2 doigts). L’enseignant isole une quantité analogique de doigts, 2 et 1, et pratique une décomposition/recomposition (3 décomposé comme la somme de ses parties). On est d’emblée dans une logique de calcul.

Le problème chez les enfants sourds est que pour montrer 4 (sur une main, pouce baissé) + 3, il est bloqué par le code 4, qui l’empêche de recomposer.

Pour un élève de CP, il montre sur les deux mains puis passe de 2 + 1 en 3, d’où stratégie de décomposition/recomposition sur les doigts et non sur les mots-nombres.

Attention de bien distinguer comptage sur les doigts (non !) et calcul sur les doigts où il y a stratégie de décomposition/recomposition.

Passage à la dizaine :

9 + 3 : l’enfant montre 9 et passe à la dizaine sur les doigts au 12 sans montrer en décomposant/recomposant. Pour les coréens, pas de problème, car ils comptent jusqu’à 10 en abaissant les doigts puis les remontent à partir de 11.

La stratégie de retour au “5” chez les sourds 7 + 6 : ils mémorisent la configuration des doigts et le répertoire additif dès le début du CP (chez les enfants américains, c’est beaucoup plus tard !).

Quel cheminement privilégier ?

Selon Brissiaud, il faut privilégier le calcul avec décomposition/recomposition.
- Une simulation avec les adultes : Travail sur une suite verbale inhabituelle, les lettres de l’alphabet dont tout le monde connait la suite. Imaginer un gros tas de jetons à calculer avec les lettres. Il y a “r” jetons. “h” est-il supérieur à 10 ? On compte alors sur ses doigts ! (“h” c’est 8, un tout petit nombre). Quand on ne dispose que d’une suite verbale apprise par coeur, on ne sait pas si le nombre est grand ou petit. Il nous manque des repères. On privilégie les “5”. “e” = 5. Si on interroge sur “f”, on connaît tout de suite la réponse. On trouve “h” par surcomptage ! D’où la nécessité de favoriser le retour au 5. “r” + “c” =”r” + 3 , par surcomptage on trouve le total “u” mais on ne sait pas si c’est grand ou petit. On obtient un bon résultat mais pas une bonne représentation mentale des matériaux sur lesquels on travaille. On risque de construire sur du sable ! ce qui est le piège. Plus tard on risque d’être face à de sérieux problèmes. Des enfants en grande difficulté vers 13-14 ans sont prisonniers du comptage sur les doigts mais n’ont pas mémorisé. Il faut les faire repasser par le calcul sur les doigts.

Il est important de faire tous les jours du calcul mental. “les compétences en calcul mental sont les pierres dont on fait l’édifice !”. Les meilleurs en calcul mental sont aussi les meilleurs en résolution de problème.

(...)

En PS, la première urgence n’est pas le comptage oral. Il faut privilégier le dialogue “combien je vais manger de gâteaux ?” et permettre une représentation analogique gâteaux/doigts. Il faut favoriser l’usage de mots-nombres avec sa représentation analogique (collection de doigts). Il faut favoriser les stratégies de décompositions/recompositions ex. Pour l’appel, on “pointe” avec les étiquettes des prénoms. On parle des absents et en même temps on montre les doigts. On construit une collection de doigts par correspondance terme à terme avec les enfants qu’on nomme. “Il y a comme ça d’absents” (en même temps on montre 5 et encore 1) et on demande combien cela fait. On renvoie à des quantités, à un sens cardinal.

Apprendre le comptage oral ne devrait pas avoir lieu en GS s’il n’y a pas analogie avec ce que cela représente, avec les doigts (12, c’est 10 et 2-> colorier des doigts sur un dessin -plusieurs mains représentées : coloriage de 5, 5, 2- et non compter sur les doigts ! / C’est combien 8 ?...fonctionne comme “c’est combien “h”).

Introduire le comptage oral est incontournable mais il faut aussi construire le repère “5”, favoriser l’usage global “5” et “10”, et favoriser le calcul sur un petit domaine numérique.

Sur les livrets d’évaluation figure “sait compter jusqu’à...” mais pas “sait calculer jusqu’à...”, ce qui serait à revoir et à privilégier. On trouve partout des livres à compter mais peu à calculer : cf “album à calculer” de Brissiaud, avec les dispositions en configurations, en constellations. On amène l’enfant à voir “2” en “5” en faisant appel à la configuration et au cadre imagé. On aide à anticiper et à vérifier. Faire des mathématiques, c’est travailler sur des symboles pour anticiper une réalité auquel on n’a pas accès. Il faut donc proposer des outils qui visent à privilégier ce qui risque de ne pas être présent dans les familles.

En MS et GS, la file numérique permet de retrouver l’écriture et la lecture des chiffres en comptant, avant que les enfants sachent les lire et les écrire. Elle aide à l’appropriation de l’écriture des nombres mais il faut en même temps en penser le sevrage. Au CP, elle ne doit pas être en permanence devant les yeux des enfants car elle empêche d’avancer.

Au CP, on enseigne explicitement le calcul, les stratégies de décomposition/recomposition.

La boîte de “Picbille” est un outil pour construire ces repères privilégiés, qui a même structure que les doigts (deux compartiments successifs de cinq jetons, que l’on ferme dès qu’ils sont complets). Les caches permettent une représentation mentale des objets absents. L’usage des constellations permet aussi une lecture immédiate et un contrôle, comme avec la boîte de “Picbille”. Attention :
- Ne pas exiger trop tôt que les enfants ne dessinent plus : “je préfère que tu dessines de façon organisée, plutôt que tu comptes”. L’organisation en constellations permet de vérifier et aide à la décomposition/recomposition.
- Enseigner des stratégies complexes même pour les enfants en difficultés et attention au comptage !

Il existe trois formes de représentations mentales :

- la représentation imagée analogique
- la représentation liée à l’action (ex. connaissance de comment on fait un noeud !)
- la représentation verbale.

Il faut être capable de passer de l’une de ces représentations à l’autre. Avec “Picbille”, il y a codage spatial (image sans le couvercle) du résultat d’une action qui permet de passer de la séquentialité du comptage à la simultanéité de sa dénomination, à l’unicité de cette dénomination.

(...)

Post-Scriptum
Conférence de Rémi BRISSIAUD, ancien professeur de mathématiques, actuellement professeur de psychologie à l’IUFM de Versailles, à MIRAMAS, le 3/03/1999 (d’après des extraits d’un compte-rendu de V.Verdié)


Voir en ligne : Source et article complet