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Réguler son enseignement... en EPS

vendredi 15 janvier 2021, par phil

A la question " que dois-je apprendre à mes élèves ? " l’EPS apporte depuis plus d’un siècle des réponses variées et quelquefois contradictoires. Cependant, et depuis le début des années 80 et son intégration à l’éducation nationale, l’éducation physique et sportive s’est coulée dans le moule des autres disciplines d’enseignement en intégrant la démarche des programmes et en précisant les contenus des évaluations aux examens du second degré. Ainsi le " que dois-je apprendre à mes élèves ? " trouve une réponse organisée par l’intermédiaire des évaluations et des programmes nationaux qui rythment la scolarité de la sixième à la terminale. La réalité n’est cependant pas si simple et l’hétérogénéité des conditions et des milieux d’exercice comme les moyens dont disposent les équipes enseignantes peuvent rendre le strict respect de ces programmes et de ces évaluations quelque peu aléatoire. Et ce, d’autant plus, que les compétences et connaissances exigibles aux différents niveaux de la scolarité visent des niveaux d’expertise souvent peu compatibles avec la réalité des élèves en prenant rarement en compte l’hétérogénéité des ressources, des morphologies, des motivations et, plus généralement, des besoins des uns et des autres. Soucieux de respecter autant les exigences institutionnelles que cette réalité des pratiques, l’enseignant d’EPS se trouve dans l’obligation de construire son projet d’enseignement en tenant compte d’un ensemble de paramètres lié, certes, aux programmes et évaluations imposés par l’institution, mais aussi à l’ensemble des contingences qui conditionnent sa pratique. Ainsi la régulation de l’enseignement ne consistera pas seulement à mesurer l’écart entre les réalisations des élèves et ces exigences institutionnelles mais elle devra s’intéresser à l’ensemble du projet d’enseignement tel qu’il a été arrêté au début des apprentissages.

Si la conception et la préparation précèdent l’acte d’enseignement proprement dit, la régulation accompagne les mises en oeuvre et se prolonge en fin de leçon et de cycle afin de remédier aux difficultés rencontrées en influençant et en corrigeant la suite des apprentissages proposés.

Elle s’appuie sur l’observation et l’évaluation de la conduite des élèves en activité afin de pouvoir mesurer les écarts entre ce qui était prévu et ce qu’ils réalisent réellement. Ensuite, et en fonction de ces observations, elle doit déboucher sur la poursuite ou la modification des apprentissages. C’est assez dire qu’il s’agit là d’une démarche difficile, qui nécessite une véritable expertise et, certainement, un minimum d’expérience professionnelle. Cette remarque est d’ailleurs confirmée par le comportement des enseignants débutants pour lesquels le principal déficit pédagogique constaté se trouve souvent dans une régulation insuffisante des enseignements. Ces débutants, stagiaires ou professeurs fraîchement titularisés, sont habituellement centrés sur le fonctionnement matériel de leur leçon, obnubilés par la mise en oeuvre des situations d’apprentissage retenues et perturbés par la nécessité de policer le comportement des élèves. En établissant une relation privilégiée avec le savoir au détriment des élèves ils en oublient souvent de porter leur regard sur leurs conduites motrices et, partant, sont parfois dans l’incapacité de relever les dysfonctionnements et de réguler leurs apprentissages. En établissant cette relation privilégiée avec le savoir le professeur attribue aux élèves la "place du mort". On assiste alors à un double processus : certains élèves quittent la situation pédagogique ou la récusent ("drop out") alors que d’autres se mettent à chahuter ou montrent ostensiblement que cette situation ne leur convient pas ("drop in"). Incontestablement (mais cela ne concerne pas que les enseignants débutants), le processus "enseigner" qui privilégie l’axe professeur-savoir l’emporte le plus souvent sur le processus "apprendre" qui s’intéresse plus précisément à l’axe élève-savoir. Maurice PIERON, dans une étude menée en 1982 dans des leçons d’EPS, montre que le pourcentage d’intervention consacré aux instructions et au feedback est nettement différent chez le professeur confirmé et chez le stagiaire. Le premier y consacre 47,2% de ses interventions, le second seulement 33%. Ce constat est également souvent évoqué par les observateurs, les conseillers pédagogiques et les corps d’inspection. Il engage certainement des pistes intéressantes, autant pour la formation des futurs enseignants qu’en ce qui concerne les épreuves proposées à l’occasion des concours de recrutement.

Notons, enfin, que la régulation de l’enseignement est le seul moyen qui permette la mise en oeuvre d’une pédagogie différenciée susceptible de pallier quelque peu à l’hétérogénéité constatée dans les classes de collège ou de lycée.

Nous l’avons vu : l’expression "régulation de l’enseignement" apparaît à divers stades de sa mise en oeuvre et semble recouvrir des réalités quelquefois bien différentes. Ainsi nous distinguerons ce que nous pouvons appeler, par commodité, la "régulation instantanée" effectuée pendant l’acte d’enseignement, de "la régulation de fin de leçon" et de "la régulation de fin de cycle". Cette approche est quelque peu formelle puisqu’elle traite séparément des démarches qui se recoupent le plus souvent, mais elle a l’avantage d’autoriser des analyses séparées plus compréhensibles que nous tacherons, chaque fois, d’illustrer avec des propositions concrètes.

3.1 La "régulation instantanée"...

Pendant la leçon proprement dite l’enseignant doit conduire simultanément un triple questionnement : les tâches proposées sont-elles adaptées aux niveaux des élèves ? les quantités de répétitions sont-elles judicieuses ? la conduite pédagogique permet-elle un bon déroulement de la leçon ? répondre à ces trois questions et proposer les ajustements nécessaires constituent les bases de la régulation instantanée.

3.1.1 Régulation et difficulté de la tâche

On sait que les tâches d’apprentissage qui présentent un niveau de difficulté optimal sont celles qui provoquent le meilleur développement des habiletés motrices. On sait également qu’au plan de la motivation une réussite trop aisée ou un échec prolongé entraînent le désintérêt de l’élève et, en conséquence, un désengagement de l’apprentissage. Dans ces conditions un ajustement précis de la difficulté de la tâche aux ressources et aux acquis antérieurs des élève est une obligation qu’il est difficile de respecter avec précision dans la préparation de l’enseignement, même si celui-ci s’organise à partir d’une analyse précise des caractéristiques des élèves et d’une évaluation initiale pertinente. Prévoir des tâches évolutives afin d’ajuster le niveau de difficulté est donc impératif mais pas forcément suffisant pour satisfaire à des comportements imprévus.

Dans ces conditions la régulation consistera, d’une part, à ajuster le niveau de difficulté à partir des aménagements prévus et, d’autre part, à imaginer dans l’instant des solutions qui permettront de remédier aux difficultés rencontrées. Pour ce faire, l’enseignant dispose d’une batterie d’ajustements (ou de remédiations) parmi lesquels il devra choisir le ou les plus pertinents pour mettre en cohérence les possibilités des élèves et le niveau de difficulté de la tâche qu’il propose. Ces remédiations, qu’elles complexifient ou qu’elles simplifient la tâche, peuvent s’exercer dans plusieurs directions :

en ajustant la quantité de l’engagement énergétique en intervenant sur le temps de course, l’allure de course, la distance à parcourir, la durée de l’affrontement ou de la prestation, l’espace de pratique, la quantité de charge.... en ajustant la complexité de la réalisation motrice : en aménageant le milieu, les conditions de temps, la tenue et la manipulation de l’engin... en ajustant les conditions du rapport de force : en modifiant la coopération ou l’opposition, en limitant les possibilités d’intervention sur soi, sur l’autre ou sur l’engin... en ajustant les conditions de la prise d’information : en donnant (ou en enlevant) des repères visuels ou sonores, en modifiant les effectifs, en outillant l’information.... en organisant les conditions d’une sécurité rassurante ou d’un risque subjectif plus important : en aménageant le milieu, en proposant une aide, une parade.... Ces remédiations portent autant sur la complexification que sur la simplification de la tâche, elles pourront intéresser l’ensemble de la classe ou seulement un groupe d’élèves, voire même un seul.

3.1.2 Régulation et répétitions de la tâche

La répétition de la tâche signifie que l’élève reproduit volontairement un geste afin de parvenir à la meilleure acquisition ou à l’acquisition accélérée d’une habileté motrice. Or la répétition peut avoir un effet bénéfique mais aussi des conséquences néfastes. La répétition d’un même mouvement amène une plus grande régularité des réponses et tend à diminuer les temps de réaction. A contrario, la répétition peut produire des réponses stéréotypées ce qui interdit tout transfert d’apprentissage : l’élève n’est plus capable de s’adapter à de nouvelles situations.

On distingue bien le rôle essentiel que peut jouer la régulation. Si le nombre de répétitions est trop faible, l’habileté visée ne sera pas acquise, s’il est trop important l’élève peut perdre tout bénéfice sur le plan d’une motricité adaptative. Or, et compte tenu de l’hétérogénéité des élèves, ce qui peut être trop court pour certains risque d’être trop long pour d’autres. Il faudra fixer les premiers sur cette tâche et amener les seconds sur une autre ou, pour le moins, sur une modification de la tâche initiale.

On peut constater ici combien le minutage précis des temps consacrés aux différentes situations d’apprentissage sur un planning de leçon est inutile voire dangereux s’il est respecté sans discernement.

3.1.3 Régulation et conduite pédagogique

Le " comment vais-je m’y prendre pour qu’ils apprennent " concerne deux parties distinctes dans le temps. L’approche pédagogique que l’enseignant souhaite employer peut et doit être une partie intégrante de la conception et de la préparation de l’enseignement, mais elle ne peut tenir compte de "l’évènementiel", c’est à dire de ce qui va se passer réellement pendant la leçon. Pour peu que la classe sorte d’un devoir sur table particulièrement contraignant ou, au contraire, d’une séquence libérée par l’absence d’un enseignant son comportement risque d’être totalement différent de ce que l’on attendait . Dans ce cas la régulation passera par la remise en cause du prévisionnel pour s’orienter vers une conduite pédagogique qui pourra préserver l’essentiel des apprentissages prévus. Ce type d’adaptation est tout aussi valable lorsque les conditions habituelles sont perturbées par l’absence imprévue de nombreux élèves, par les conditions atmosphériques ou bien encore par un changement inattendu d’installations sportives.

Dans le courant de la leçon quatre types d’évènements peuvent être observés : des incidents se rapportant à l’activité, au professeur, aux autres élèves, et aux élèves inaptes, dispensés du cours d’EPS. La présence de ces derniers étant dépendante du règlement intérieur des établissements ces incidents peuvent être évités soit par une prise en compte pédagogique particulière (arbitrage, observation...) soit, plus simplement, en faisant en sorte qu’ils n’accompagnent pas la leçon d’EPS. Les incidents entre élèves doivent être abordés avec beaucoup de prudence par l’enseignant : réclamer des explications, obtenir un dialogue...et ne pas laisser les autres élèves s’en mêler semblent être les meilleurs conseils que l’on puisse prodiguer. Dans tous les cas il faut veiller à garder une certaine mesure (ni indifférence, ni dramatisation excessive) et surtout veiller à rendre un jugement équitable : rien n’est pire que le sentiment d’injustice que peut ressentir un élève. Les incidents qui concernent un ou des élèves et le professeur méritent de ne pas être gérés dans l’urgence : calmer le débat, obtenir une pacification momentanée et reporter les "explications" en fin de cours paraît toujours être la meilleure solution. Il faut, dans tous les cas, se garder de perdre son sang-froid et de se laisser aller, par la parole ou par le geste, à des réactions excessives qui ne pourront que se retourner contre l’enseignant et la sérénité de la leçon. Les incidents les plus nombreux concernent l’activité puisqu’ils représentent plus de 60% du total. Démobilisation, arrêt d’activité, chahut, bavardages intempestifs, détérioration du matériel, abandon prématuré du cours sont autant de conséquences visibles qui peuvent concerner n’importe quel enseignant. Trois raisons peuvent être évoquées pour expliquer ces dysfonctionnements :

les élèves considèrent l’action comme trop facile, les élèves considèrent l’action comme trop difficile, les élèves estiment l’activité proposée inintéressante ("c’est nul ! !") ou lassante ("on fait autre chose ?").

Les problèmes posés par les deux premiers items peuvent certainement être résolus en ajustant la difficulté de la tâche comme cela a été évoqué plus haut : l’aménagement des situations d’apprentissage peut alors résoudre un problème de conduite pédagogique. Le troisième item est beaucoup plus problématique puisqu’il s’intéresse au choix des APS comme support d’enseignement et que l’on manque par trop d’études sur ce point pour pouvoir apporter des conseils utiles et définitifs. Pierre THERME a montré, par exemple, que le choix du football en milieu scolaire difficile ne constituait en rien une garantie de participation active et disciplinée des élèves. En revanche il plaide pour une pédagogie du sens et il affirme que : "L’adaptation des contenus et de la pédagogie en vue de lutter contre l’échec scolaire ne doit pas se faire au détriment des contenus et des niveaux, ni à celui des efforts en vue d’un progrès dans la didactique des disciplines d’enseignement "

C’est assez dire que plus que le choix de l’APS c’est bien la manière dont elle est enseignée qui conservera l’intérêt de l’élève et qui le maintiendra en activité. Quant à la lassitude qui peut s’emparer des élèves elle peut être la conséquence d’un trop grand nombre de répétitions ou, plus simplement, d’une leçon dont ils ont l’impression "qu’elle n’apporte plus rien de nouveau".

Il n’en reste pas moins que ces incidents sont, pour l’enseignant, du domaine de l’imprévisible et qu’ils exigent une réaction rapide (qui peut, dans certains cas et paradoxalement, consister à ne rien faire : c’est souvent la meilleure manière d’obtenir le silence par exemple...). Par définition il est souvent difficile de donner des conseils pour "gérer l’imprévu" et il n’existe pas de recettes susceptibles de toujours réussir en face d’une classe dont le comportement inhabituel entraîne une attitude peu encline aux apprentissages. Confronté à l’agitation, la régulation peut porter sur l’organisation des enseignements et surtout le cadrage strict des phases consacrées à la présentation des situations d’apprentissage ou des consignes. L’exploitation des "rôles sociaux" en déléguant un certains nombre de responsabilités, une attitude positive vis à vis des élèves, l’encouragement individuel, l’utilisation des " rituels" peut aussi donner quelques résultats. Dans tous les cas il vaut mieux se diriger vers une simplification des contenus proposés, expliquer leur rôle et leur importance pour leur donner du sens et ne pas hésiter, le cas échéant, à introduire des situations ludiques qui ne doivent pourtant jamais s’apparenter à du laisser-aller. Confronté à une classe exceptionnellement amorphe, peu motivée, l’enseignant peut "alléger" sa présence, confier des responsabilités, fixer des objectifs plus simples et plus proches, introduire des situations ludiques ou compétitives. Dans tous les cas il doit se donner les moyens de connaître les raisons de ce désengagement inhabituel et en tenir compte pour la suite des apprentissages.

3.1.4 Les conditions de la régulation

Le fait d’évoquer les contenus d’une régulation instantanée ne donne pas pour autant les conditions de sa mise en oeuvre. Celles-ci s’appuient sur deux compétences indispensables pour l’enseignant :

disposer des connaissances professionnelles suffisantes pour proposer les remédiations nécessaires (celles là même que l’on vient d’aborder ci-dessus), posséder les moyens d’une observation pertinente.

3.1.4.1 L’expérience professionnelle

L’expérience professionnelle en question est d’autant plus difficile à acquérir qu’elle suppose des connaissances approfondies non seulement dans la didactique générale de la discipline mais aussi dans celle des nombreuses APS qui constituent les supports d’enseignement de l’EPS. Or, l’activité exploitée comme support d’enseignement ne peut être dénaturée jusqu’à perdre tout son sens et la prise en compte permanente de sa "logique interne" doit présider à toute forme de traitement. En effet, le respect de cette logique interne répond à une double cohérence : culturelle, puisque cette activité est inscrite dans le champ social des pratiques physiques et méthodologique car pourquoi l’avoir choisie si on n’en respecte ni les règles ni les finalités ?

Il est évident qu’aucun enseignant ne peut disposer de toutes les compétences afférentes aux quelques 200 activités qui saturent le champ culturel des APS et qui font, dans la plupart des cas, l’objet d’un ou plusieurs articles de didactique dans la Revue EPS. Ce problème est d’autant plus crucial que la formation des étudiants en STAPS ne consacre, sur le cursus des études, que peu de temps à l’acquisition des connaissances indispensables dans la didactique des APS. La formation initiale se montre en effet bien incapable de satisfaire à ce besoin : contrainte par le temps (quand programmer 200 APS différentes ?), par le nombre (comment intégrer un cycle de gymnastique, par exemple, quand plus de 1000 étudiants sont admis en première année de DEUG ?), par les moyens d’encadrement (comment trouver les formateurs nécessaires ?), l’université fait des impasses que seule une formation postérieure au CAPEPS pourra combler.

Le choix de l’enseignant doit donc se porter vers des activités connues ou susceptibles de l’être par l’intermédiaire de la co-formation et de la formation continue des enseignants. Le niveau d’expertise requis pour pouvoir programmer une APS en tant que support d’enseignement n’est évidemment pas celui du pratiquant patenté ou de l’entraîneur titulaire du "brevet d’état" et il se limite, pour l’enseignant d’EPS, à la capacité d’analyser l’activité dans ses composantes motrices, culturelles et sociales pour en dégager son utilisation en milieu scolaire. Dans ce cadre, et pour toutes les APS, les conditions de la sécurité des élèves doivent être rigoureusement respectées.

En partant du principe que l’APS est connue de l’enseignant, celui-ci doit disposer des moyens d’observation qui lui permettront d’identifier les problèmes avant, bien sûr, de proposer des solutions...


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