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Plaidoyer pour une pédagogie différenciée

lundi 22 mars 2021, par phil

- D’une la classe homogène...

La classe a toujours été traitée, autrefois, sauf chez quelques pionniers, comme un ensemble homogène, même si l’expérience quotidienne démontrait la grande variété des résultats de l’enseignement sur les élèves. Cette conception monolithique ne tenait compte de l’individualité des élèves que pour les noter ; notes à partir desquelles chacun prenait sa place dans le "classement", du "premier" au "dernier", sans que cet égrenage influence vraiment la pédagogie magistrale. Aux "moins bons" de devenir meilleurs - c’est l’élève qui est en cause : s’appliquer, écouter davantage, mieux apprendre ses leçons... - et aux meilleurs de rester les premiers ! Même le maître d’école rurale exerçant en classe unique, et qui diversifiait nécessairement son enseignement selon les niveaux et en référence aux programmes, pratiquait, pour chaque niveau, une pédagogie "frontale" : élèves travaillant au même rythme, selon les choix méthodologiques du maître, grâce auxquels chacun devait (obligation quasi morale !) suivre et réussir... Suivaient et réussissaient ceux qui rentraient dans le moule. Les autres ? Un délestage progressif les contraignait au redoublement, voire les "orientait" vers... la "vie active" ! Si ce schéma est révolu, de quoi est faite l’hétérogénéité des élèves ?

- ... à la classe "hétérogène"

Le problème est complexe, assez en tout cas pour qu’on y revienne. Les différences d’origine socio-culturelle sont bien perçues. Contraste des milieux familiaux, dans leur constitution, leur nature même, leurs ressources financières et culturelles, dans leur rapport avec l’École, dans les conditions matérielles et psychologiques que l’élève trouve quand il doit travailler à la maison... Bref, des itinéraires personnels bien différenciés, produits d’un passé, d’un vécu, d’un environnement, d’une éducation qui confèrent à chacun son identité propre. Les différences liées au développement physique, à l’état de santé, au développement cognitif et affectif, sont, autant qu’il se peut, généralement repérées, qu’il s’agisse de malnutrition, de manque de sommeil, de handicaps de la parole, de la vue, de l’ouïe, ou de la diversité des personnalités. Le besoin déjouer, l’autonomie, la capacité d’attention, la sensibilité... traduisent des niveaux de maturité contrastés, y compris entre enfants ayant reçu la même éducation (cas révélateurs d’enfants d’une même famille, dont les différences étonnent).

- Des acquis différents

Venons-en à l’état des acquis et à la façon d’apprendre. Tous les maîtres font, en début d’année, une évaluation destinée à connaître le niveau scolaire de leurs nouveaux élèves, et l’on sait bien que le noyau des acquis communs est rarement à la hauteur des attentes... alors même que le maître précédent a strictement "fait" le programme ! On constate non seulement que les acquis sont différents, mais que les savoirs communs sont plus ou moins structurés. Et la "mise à niveau" met en évidence que les élèves ne "fonctionnent" pas de la même manière (Antoine de la Garanderie distingue des "auditifs" et des "visuels", Philippe Meirieu y ajoute les "manipulateurs"...). Et il s’agit là de ce qui peut être apprécié par référence à un programme de connaissances préétabli. Les autres savoirs, ceux qui proviennent de "l’école parallèle" - et on pense d’abord, bien sûr, à la télévision -présentent d’autres "déviations".

- Des savoirs déformés

L’enfant a accès à tout et, comme l’adulte, il "zappe", passant d’un domaine à l’autre, et glanant dans le kaléidoscope des images et des mots, des "savoirs" incomplets, déformés, générateurs de représentations qui sont, le plus souvent, des transformations du réel, mais intégrées comme des vérités : "Je le sais, je l’ai vu à la télévision !" Ces représentations fausses deviennent autant d’obstacles à l’appropriation des savoirs ultérieurs qui viendraient se greffer sur elles. Aussi, l’élève ne peut-il construire un savoir que si le maître a su faire émerger les dites représentations, et faciliter la prise de conscience des erreurs qu’elles comportent. Or, ces représentations sont d’autant plus nombreuses et diversifiées que le champ d’information de l’élève est large. C’est le cas, aujourd’hui, de la plupart des élèves : télévision, mais aussi affichage publicitaire, presse écrite, communication familiale...

- Pour rester à table

On mesure la difficulté de la tâche de l’éducateur qui entend diversifier sa pratique pédagogique en fonction de l’hétérogénéité de ses élèves ! Il est, évidemment, beaucoup plus complexe d’adapter sa pédagogie, autant qu’il se peut, à la diversité des élèves, que de servir la même "soupe" à tous, en considérant, de fait, comme normal que certains n’arrivent pas à finir leur assiette dans le temps imparti, que d’autres tiennent mal leur cuillère et bavouillent en mangeant, et que quelques-uns, même, refusent carrément le potage ! Mais, soyons sérieux, l’effort d’adaptation de l’action pédagogique aux différences entre les élèves est engagé. La "Nouvelle Politique pour l’École", en mettant en place les "cycles", va tout à fait dans ce sens et facilite la prise en compte et le suivi des paramètres individuels, rythmes d’apprentissage et pédagogie différenciée. Au minimum, le maître prévoit un travail pour les "forts", et un travail pour les "faibles", qui, sans pénaliser les premiers, permet aux seconds de... rester à table ! On est là dans la perspective des "groupes de niveaux", auxquels Philippe Meirieu préfère le concept de "groupes de besoins" (voir encadré ci-dessus).

Denise Artoux

- Bibliographie

- Meirieu P. : Différencier la pédagogie (Cahiers pédagogiques).
- Meirieu P. : Le Choix d’éduquer - ESF -1991 -Chapitres 14 et 15, en particulier.
- Fresne R. : Pédagogie différenciée - Nathan -1994.

Post-Scriptum

Extrait d’article paru dans le JDI d’octobre 1993