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Des remédiations qui se révèlent être de fausses pistes

samedi 30 janvier 2021, par phil

On cherche ici à comprendre pourquoi certaines pistes possibles peuvent se transformer en impasses. Pour quelles raisons tous ces dispositifs multiples de remédiation, d’aide méthodologique, de rattrapage, de soutien, patiemment inventés et tentés, notamment en ZEP, par les enseignants soucieux de trouver les moyens d’apporter des réponses à toutes ces insuffisances, échouent fréquemment ou, lorsqu’ils réussissent, voient leur bénéfice s’effacer rapidement. Parfois, ils renforcent même l’échec scolaire.

Ce fut le cas par exemple dans les années 90 des classes de français organisées au collège en groupes de niveau puis en groupes de besoin. De manière insidieuse, elles continuaient d’augmenter les écarts entre les élèves : les moyens stagnaient, les bons progressaient de façon spectaculaire et les plus faibles s’installaient dans des comportements de plus en plus passifs et négatifs. Force est de constater que plus d’aide individualisée des maîtres accueillant des groupes plus restreints, plus d’heures de français et de mathématiques en sixième, plus de sorties culturelles, plus d’heures de méthodologie, de lecture d’énoncés de problèmes, etc. ne réconcilient pas en profondeur avec l’école ces élèves en rupture avec elle.

Lorsqu’on observe les classes d’élèves en difficulté, qui mettent certains enseignants (même chevronnés) eux aussi en difficulté, on constate que tout se passe comme si ces élèves voulaient imposer, par leurs conduites de refus, par les résistances manifestées (volontairement ou non, consciemment ou non) les règles de vie de la classe, parfois les contenus enseignés et les méthodes pédagogiques employées. Un équilibre se met alors en place, sournoisement négatif, dont il est difficile de sortir. L’enseignant n’est plus alors vraiment le maître. Les élèves en refus résistent, parfois gagnent ou, plus pervers, font semblant de faire gagner le maître. Le calme s’installe, les tâches deviennent plus occupationnelles que formatives.

Les auteurs de l’étude sur les difficultés en mathématiques signalent dans leur discipline deux écueils majeurs dans les réponses données à ces difficultés : La simplification excessive Ils constatent une tendance à la simplification à l’extrême et à la négociation à la baisse des consignes, objectifs, tâches : a) la baisse est « locale » au cours de chaque séance, l’apport d’aides escamote les difficultés ; b) la baisse peut être globale, en termes de programmation pour l’année, le cycle.

L’individualisation fusionnelle La réponse peut aussi prendre la forme d’une individualisation extrême de l’aide en réponse à une demande de relation individualisée exclusive. C’est répondre exclusivement sur le plan pédagogique pour en réalité, laisser l’élève dans une relation de dépendance à l’égard des dispositifs d’aide, incapable de prendre d’initiative, incapable d’un effort autonome, incapable en réalité de se construire : 1) dans la distance à l’adulte ; 2) dans la distance à ses pairs (il doit accepter de s’en distinguer, de ne pas faire corps avec eux… problème posé par ces classes où avoir une bonne note est mal vu parce que cela vous distingue) ; 3) dans la distance à soi, enfin. Nous pourrions compléter ici la liste de ces réponses qui amènent à des dérives.

Le retour aux « fondamentaux » De manière récurrente, on voit ressurgir l’appel à un « retour aux sources », aux « bonnes vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves », aux « compétences fondamentales », aux « compétences [dites] de base ». En réalité, il s’agit de revenir à une conception cumulative et progressive du savoir-écrire, qui correspondrait pour la rédaction à cette conception linéariste de la lecture qui imposait, dans les salles d’asile du XIXe siècle, qu’on apprenne d’abord les lettres, puis les syllabes, puis les mots simples, etc., et qui retardait jusqu’au CM le moment où l’on écrirait de courts paragraphes 1.

Ces exercices ou apprentissages dits de base ne correspondent dans la discipline français à aucune réalité langagière : dès que l’élève parle, écrit ou lit en CP, raconte la moindre histoire, il est obligé de résoudre une très grande complexité d’opérations cognitives, langagières et culturelles pour fabriquer du sens.

Outre qu’il n’est pas certain qu’il ait existé un âge d’or de la pédagogie du français…, on ne peut que faire remarquer que les élèves en difficulté sont ceux qui aiment bien les bons vieux exercices : dictées, grammaire… Toutes formes de tâches répétitives, qui pointent précisément le problème à résoudre, qui satisfont leurs représentations du travail scolaire, qui ne nécessitent pas de fabriquer du sens et encore moins de penser par soi-même. La question est à poser en ces termes : peut-on apprendre à écrire en passant son temps à faire des exercices ?

Un excès de guidage et d’accompagnement des tâches Une autre tentation très présente en français : trop d’étayage. Pour être sûr que l’élève se fait une représentation claire de la tâche, l’enseignant passe un temps important à clarifier les consignes, les faire répéter, établir des listes de critères, donner des modèles rigoureusement analysés ou des marches à suivre impératives… Un temps passé à négocier la tâche et à la diriger dans le but d’aider : l’effet paradoxal est que l’excès de guidage retarde le moment d’entrer dans la tâche et surtout décharge les élèves d’une partie de sa gestion.

Ainsi retrouvons-nous les observations de nos collègues didacticiens des mathématiques : en facilitant ou en sur-étayant les tâches, la multiplication des dispositifs d’aide et de soutien rend ces élèves plus dépendants à la fois du maître, des consignes, du contexte immédiat. Ils empêchent d’une certaine façon les conduites de prise de risque que demande tout travail intellectuel et de ce fait renforcent les difficultés mêmes auxquelles ils cherchent à remédier. Ils empêchent ainsi que ne se construisent les attitudes intellectuelles et langagières nécessaires au travail de l’école.

Anecdote : Qu’on imagine a contrario un instant l’aventure extraordinaire que représente pour un petit de classe préparatoire le tout premier texte qu’il écrit aux environs de février pour raconter une visite de sa classe au port de Collioure. Il connaît un certain nombre de mots, de graphies, de lettres et il se jette dans une écriture « longue », sans douter un instant de pouvoir y arriver. Le maître est là, bienveillant, répondant à la demande des élèves ; quatre copains, chacun à son texte autour de la table, aident aussi. On cherche sur les écrits collés sur les murs, dans les albums lus. À la fin de l’atelier écriture, ce petit élève lit et recopie son texte, différent de celui des copains : deux ou trois petites phrases souvent, mais les siennes, qui racontent son expérience particulière 2. Pendant ce temps, dans d’autres classes, ce qu’on appelle écriture, c’est déplacer et coller quelques étiquettes de mots étudiés dans la leçon du livre de lecture !

Qu’est-ce en effet qu’apprendre sinon partir à l’aventure, si ce n’est accepter en profondeur qu’on ne sait pas, qu’on a besoin de modifier ses habitudes, d’inventer de nouveaux itinéraires, de nouveaux outils, de nouvelles stratégies pour réaliser les tâches demandées (que ce soit en EPS, en biologie ou pour écrire un récit de fiction qui intéresse un lecteur) ?

Les élèves en difficultés ont souvent peur de la nouveauté. Ils veulent toujours refaire la même chose, le même problème, le même récit, relire les mêmes livres. Les conforter dans cette tendance ne les sécurise qu’en apparence.

La dilution du travail dans la suractivité ou la déscolarisation des tâches On pense parfois mobiliser les élèves en dépaysant les pratiques d’écriture grâce à des projets longs, souvent ambitieux, preneurs de temps, qui invitent les élèves à sortir de l’école, à déscolariser l’écriture comme on a souhaité, un temps, déscolariser la lecture. Il n’y a aucune raison en effet de faire de l’école une terre austère où le plaisir et le jeu sont exclus. Mais le danger est de désolidariser les apprentissages de ces tâches, de rendre plus difficile le retour aux tâches quotidiennes de l’école et le transfert des connaissances et des savoir-faire et, de rendre plus difficile la construction de l’école comme espace d’un travail intellectuel.

Un autre écueil est aussi d’imaginer que pour maintenir l’attention des élèves, il faille en permanence changer de projets. On constate que les enseignants les plus actifs et combatifs sur le front de la lutte contre l’échec scolaire démultiplient et diversifient en permanence les tâches d’écriture en puisant à toute l’histoire de la didactique de l’écriture : jeux d’écriture, jeux poétiques, textes libres, journal scolaire, lettre aux correspondants, écrits formalisés inspirés des travaux d’Écouen ou d’Eva. Pour autant une étude attentive des résultats des élèves dans une classe ZEP de CM2, observée toute l’année 3, montre que si tous progressent de façon importante, on constate que ce sont les élèves les plus en difficulté qui progressent le moins. On peut penser alors qu’en passant trop vite d’un projet à un autre, on ne leur laisse pas assez de temps pour intérioriser et stabiliser les savoirs et compétences que celui-ci a nécessités. Faire beaucoup écrire, de manière brève et diverse, ne suffit de toute évidence pas. Il faut du temps, suffisamment de continuité et de reprise pour que l’élève puisse effectuer un parcours personnel d’écriture sans pour autant se lasser.

Ce texte est extrait d’un ouvrage, résultat d’un travail d’équipe, dirigé par Dominique Bucheton, coordonné et rédigé par Jean-Charles Chabanne : Écrire en ZEP : un autre regard sur les écrits des élèves, Delagrave/CRDP de Versailles, coll. « Pédagogie et formation », 2002.