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Enseigner : quatre figures du même métier

mardi 23 février 2021, par phil

D’après SCIENCES HUMAINES Août/Septembre 1999
Enseigner : quatre figures du même métier
Extrait d’article de magazine

Expert, artiste, coéquipier ou stratège ? Autant de conceptions du métier d’enseignant qui sous-tendent des débats récurrents autour de la question de la « professionnalisation ».
Savoirs scolaires et sociaux, rapport au savoir et question du sens, innovations, cyberculture et citoyenneté, professionnalisation des enseignants... ces thématiques ont fait l’objet d’un foisonnement d’ateliers, de tables rondes et de conférences au colloque du Réseau francophone de recherche en éducation et formation*.
Pourquoi la question de la professionnalisation suscite-t-elle régulièrement les polémiques les plus vives ? On ne se demande jamais s’il faut professionnaliser un médecin ou un ouvrier qualifié. Dans l’enseignement, cette question est sous-tendue par de multiples enjeux. Entre autres, elle alimente en France un débat récurrent, et souvent virulent, entre tenants de la pédagogie et partisans d’une formation axée majoritairement sur les contenus.
(...)
Au Québec, ce thème fait l’objet de recherches nourries à la fois par les travaux francophones et anglo-saxons. Ainsi, les universités de Laval, Montréal et Sherbrooke ont constitué un Centre de recherche inter-universitaire sur la formation et la profession enseignante (GREFFE), animé par des chercheurs tels que Maurice Tardif, Yves Lenoir, Clermont Gauthier, Guy Pelletier...
L’un d’eux, Claude Lessard, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Montréal, a présenté une synthèse de la question, en montrant l’aspect « polysémique et ambigu » du discours sur la formation des maîtres. Il a distingué quatre grandes conceptions de la professionnalisation.
L’enseignant expert : Cette conception est née au cours des Trente Glorieuses, période où se développent en Amérique du Nord les sciences de l’éducation, dans une optique proche de la logique plus globale du « tout scientifique ». A l’engagement militant ou même quasi religieux du pédagogue doit faire place le « regard du clinicien ». Ce discours, aujourd’hui daté, a été réactualisé au profit de la conception actuelle qui pose l’existence d’une base de connaissances (knowledge base) spécifiques à l’enseignement : les recherches fournissent aux formateurs un corpus de connaissances. Ce dernier inclut aussi bien les savoirs portant sur les contenus que les savoirs pédagogiques. Il en découle une véritable culture technique du métier, avec un langage spécialisé, qui fait que certains dénoncent cette conception comme une dérive technocratique.
Le praticien réflexif : Ce discours rejette la « rationalité technoscientifique » du précédent. Il invite les enseignants à prendre une distance face aux sciences de l’éducation. Il prône de restaurer les savoirs tacites, artisanaux, d’expérience, entendant ainsi valoriser la spécificité du métier. Aboutissant à une critique - parfois violente - des formations professionnelles, ce discours (qui date des années 80) a connu un grand succès auprès des formateurs, soucieux de préserver leur autonomie professionnelle.
L’acteur collectif : Dans les décisions pédagogiques, le travail en équipe, l’harmonisation des modes d’évaluation, toute une culture commune au sein de l’établissement peut faciliter la circulation des savoirs pédagogiques et didactiques. Cette collégialité a un coût : elle accroît la responsabilité des enseignants et leur investissement en temps et en énergie, ce qui explique les réticences de certains d’entre eux.
La complexité des tâches : L’enseignant est confronté à une complexité croissante des tâches. Il doit user de stratégies faisant appel tantôt à ses talents et ses initiatives personnelles, tantôt à . des connaissances scientifiques, techniques, institutionnelles : relations plus individualisées avec les élèves, différenciation pédagogique et nouvelles compétences évaluatives, relations avec les parents et avec les autres enseignants, aide aux novices, etc. Dans la pratique, ces conceptions sont plus ou moins enchevêtrées. Au-delà de la défense traditionnelle de l’autonomie et de la quête de reconnaissance, il est bien difficile d’identifier de quel projet précis chaque enseignant est porteur. Ces discours ont cependant des effets divers sur les attitudes professionnelles. Ceux de la complexité et de l’acteur collectif, s’ils correspondent mieux aux besoins de l’école d’aujourd’hui, mettent la barre assez haut pour ce qui concerne compétences requises et des responsabilités à assumer. Ils peuvent décourager... Ceux de l’enseignant-expert ou du praticien réflexif apportent en revanche, chacun à leur manière, une reconnaissance du métier. Plus valorisants, ils sont plus aptes à remonter le moral des troupes.
MARTINE FOURNIER
Post-Scriptum
*Chaque année depuis 1989, le REF (Réseau francophone de recherche en éducation et formation) réunit les chercheurs de tous les pays francophones. Après Paris, Liège, Sherbrooke, Louvain-la-Neuve, Montréal, il se tenait en octobre 1998 à Toulouse autour du thème « Savoirs, rapports aux savoirs et professionnalisation ».