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Question de production d’écrits

jeudi 25 mars 2021, par phil

Ceci est une synthèse d’un texte de Bucheton, Chabanne.

- Discuter et comparer, négocier, réécrire : si l’écriture commence presque toujours par un travail individuel, elle repart, elle évolue et se réoriente grâce aux échanges organisés autour des écrits avec un travail collectif. Paradoxalement, l’écriture n’est pas une activité solitaire.
- De plus, concluons que l’acquisition du langage se fait aussi par appropriation des discours disponibles par une série continue de reprises-transformations, au cours de laquelle le sujet réemploie des éléments apportés par d’autres. C’est ainsi le principe de l’atelier d’écriture et de toute situation dans laquelle les écrits sont nombreux et mis en commun.

- Distinguer nettement écrire et corriger, réécrire et réviser

- La maîtrise de la norme n’est pas un préalable à la pratique de l’écriture, mais qu’elle se développe avec elle, grâce à elle. « C’est en écrivant qu’on devient écriveron », disait Queneau. - C’est en écrivant qu’on apprend à écrire, au plein sens du terme : d’abord à écrire pour mettre des idées au travail, pour travailler ensemble la pensée et l’expression, la pensée grâce à son expression ; pour raconter des histoires, donner des explications, affirmer des jugements, rappeler des savoirs, etc.
- Il s’agit d’apprendre à écrire pour penser, pour apprendre, pour grandir. Et bien sûr pour apprendre à écrire correctement, sur les plans textuels, lexicaux, syntaxiques, orthographiques.
- Plus les textes attendus sont complexes, plus les élèves ressentent la nécessité de les organiser, de normer leur syntaxe et leur écriture ; plus ils développent des capacités supérieure d’écriture.
- S’ils sont engagés dans leurs textes, ils sont plus attentifs à leurs formes, utilisent les outils mis à leur disposition, mobilisent les leçons de grammaire entendues, récupèrent dans les écrits de l’environnement des solutions, demandent de l’aide, se relisent.
- A l’inverse, si les tâches d’écriture se révèlent systématiquement être des tâches de grammaire ou d’orthographe, si l’évaluation porte surtout sur la norme linguistique, sans aller chercher ce qui est en jeu dans le texte, ce qui est en germe, ce qui cherche à se dire, les élèves se limitent à cette ambition, ET perdent de vue les fonctions de l’écriture, et pour les plus malhabiles perdent confiance en eux, évitent de prendre des risques, et au final écrivent de moins en moins, ou se désinvestissent complètement de toute surveillance normative.

- Il convient de clarifier les exigences pour chacune des tâches d’écriture proposée. Il est proposé 3 temps principaux d’écriture :

- les moments où l’on écrit pour faire jouer une ou des fonctions de l’écriture, pour retravailler la structure profonde, la dynamique générale, les noyaux sémantiques et symboliques et les grandes logiques d’un écrit. (d’où renouvellement de la consigne ou une même consigne donnée à quelques jours de distance, sans obliger à reprendre le premier je, donc un retour en amont sur le premier jet) ;
- les moments où l’on souhaite revenir sur ces écrits pour rectifier les écarts à la norme. On distinguera le travail de révision, qui porte plutôt sur l’organisation textuelle, les ensembles syntaxiques, la cohésion (anaphores, temps verbaux...), la cohérence (respect des conventions narratives, argumentatives...), etc., et le travail de correction, qui consiste à rectifier les problèmes orthographiques et morphosémantiques de bas niveau ;
- les moments où l’on construit des savoirs métalinguistiques pour effectuer ce travail de relecture et de correction (les « leçons de grammaire et d’orthographe »).

- Cet ensemble d’écrits suppose qu’on accepte que tous les écrits produits ne soient pas corrigés, que certains restent à l’état de brouillons sommaires ; que se soient des écrits intermédiaires. Il a sa place dans les cahiers d’essai, dans les carnets de travail, à ce titre. Du coup, il faut en accepter les productions souvent hors normes : non linéaires (listes...), utilisant des signes graphiques (couleurs, flèches, sur- ou soulignements, cadres...), sous forme de schémas ou de dessins. Il faut apprendre à lire ces écrits en gestation pour ce qu’ils sont. Ceci n’exclut pas toute attention à la norme. On observe que les performances s’améliorent au fil du temps, y compris sous la forme d’automatismes. On peut aller plus loin : imposer un temps de relecture à chaque fois, même s’il n’est pas doublé d’une relecture intégrale par l’enseignant. On peut exiger des élèves des productions des textes conformes à leurs compétences, qu’ils reprennent certaines négligences selon ce que l’on sait de leur capacité. Accepter que l’élève donne la priorité à l’écriture sur la correction ne signifie jamais qu’on lui laisse le droit de la facilité : il importe que le regard sur les écrits intermédiaires soit sans complaisance, mais individualisé afin de ne pas casser la dynamique de l’écriture en inversant l’ordre des priorités.

- Des séances d’écriture nombreuses, ponctuelles et rapides

- Les modèles didactiques de la production d’écrit les plus récents privilégient le temps long du projet. Il faut en effet du temps pour rédiger, échanger, réviser... des écrits dont les modèles sociaux sont plutôt longs (le conte, la nouvelle, le compte rendu...). D’autres pratiques de l’écriture sont envisageables, fondées sur des temps de production fréquents mais courts, où l’ont produit des textes de travail sans avoir a priori l’intention de les reprendre pour les mener à une publication.

- De multiples occasions se présentent de consignes d’écriture simples qui se révèlent des tâches complexes et stimulantes :
- des consignes de rappel, de collecte d’idées : établir une liste rapide de mots, faire la liste des expressions contenant un terme, collecter ce à quoi fait penser tel terme, etc. ;
- des consignes qui amènent à des opérations de tris, de classement, de catégorisation : remplir ou constituer un tableau à double-entrée, construire un réseau de notions autour d’un mot-clé, chercher des mots étiquettes pour regrouper des notions ;
- des consignes qui imposent une vision synthétique : rédiger une définition, titrer un schéma, résumer en un nombre de mots très limité, etc. On notera de ce point de vue qu’il ne s’agit pas de demander des résumés « en forme », objet d’ailleurs problématique 3, mais d’un résumé qu’on fait pour soi de ce qu’on a compris, qui est un outil de mobilisation intellectuelle plus qu’un exercice scolaire ;
- des consignes qui demandent une prise de position, un point de vue : Que penses-tu de... ? Qu’as-tu aimé/détesté dans... ? ;
- des consignes qui font appel à la transformation, ludique ou expérimentale, d’une représentation, d’une fiction, etc.

- Entrelacer les formes de travail

- L’effet d’éparpillement est le revers de la pratique de situations d’écriture multiples. C’est le principal écueil de la pratique des jeux d’écriture, comme des écrits dits « libres », dont les élèves choisissent eux-mêmes le sujet et les contraintes.
- La dispersion peut s’éviter en entretissant les tâches d’écriture les unes aux autres : c’est au fond la même consigne qui est donnée sous des formes différentes tout au long de la série. C’est le même problème qui est posé, tout au long d’un parcours qui alterne écritures individuelles, échanges oraux, circulation de ces écrits (lectures partielles, échanges des cahiers), apports de l’enseignant, lectures de textes en relation avec le thème et parfois retravail guidé sur une des productions.
- Il s’avère que beaucoup d’élèves rechignent à réviser leur texte, et d’abord... ceux d’entre eux qui en auraient le plus besoin. L’enseignant doit alors intervenir plus directement auprès des élèves, des groupes, voire de la classe entière. Mais cette prise en main produit un inconvénient inévitable : le résultat prime sur l’activité même d’écriture.
- Certains enseignants choisissent de privilégier l’activité et non le résultat, du moins pour une part importante des écrits intermédiaires, quitte à laisser beaucoup de ces écrits en l’état.

- Savoir jouer sur la variation dans la tâche

- Une démarche de réécriture peut consister à :

- Redonner la même consigne, à plusieurs jours de distance, sans redonner le(s) premier(s) jet(s) : cette décision prend à contre-pied la démarche habituelle de révision-amélioration et oblige à un travail de remémoration qui amènera la reprise du texte original, mais aussi une ré-invention qui peut être massive.
- Utiliser des consignes qui tantôt reformulent la demande initiale, tantôt la décomposent, tantôt utilisent un détour.
- Inventer des consignes et situations nouvelles pour déplacer en permanence l’activité intellectuelle, langagière, psycho et socioaffective des élèves (consignes précises).
- Multiplier les entrées dans la tâche d’écriture, comme le peintre dans son atelier qui multiplie les études et les croquis préparatoires ; le musicien compose des variations et des esquisses, de même le romancier qui, souvent, prépare une œuvre en en écrivant une autre ou en noircissant des pages de notes et des carnets. Développement pour l’écriture d’un principe de travail de la variation, de la variante, de la variable.

- Ne pas simplifier les consignes excessivement

- Faire pratiquer abondamment l’écriture à des élèves qui la vivent comme une tâche difficile, c’est éviter en permanence deux écueils : simplifier les tâches proposées, en abaissant sans cesse le seuil de difficulté à franchir. C’est bien souvent ce que proposent les exercices ; faire faire le travail par les autres, dans des moments collectifs où travaillent de fait les meilleurs élèves, quand ce n’est pas l’enseignant seul. - Une tâche trop simplifiée n’est pas toujours une tâche simple pour l’élève, ni paradoxalement une occasion d’apprentissage. En permanence, le réglage du degré de difficulté est délicat. Il s’agit de chercher de mettre chaque élève au travail, en lui confiant une tâche d’écriture personnelle qu’il peut s’approprier, même si les performances restent inégales : l’important est que chacun ait pu avancer de sa manière propre. Ce qui n’exclut pas, comme variante et moyen d’aider, le travail par paire ou le tutorat, l’atelier en groupe réduit animé par l’enseignant. Le travail d’écriture est ainsi personnalisé.

- Organiser les échanges entre élèves sur leurs écrits

- Les moments importants sont ceux des échanges entre élèves autour des écrits de tel ou tel, qui permettent des circulations de solutions syntaxiques, de vocabulaire, de thèmes et de motifs. Réécrire, c’est une certaine manière de plagier ses propres écrits : d’où l’intérêt de travailler plusieurs fois avec le même matériau sémantique ou langagier. On peut aller jusqu’à dire paradoxalement qu’écrire c’est déjà réécrire, qu’il y a toujours un amont et qu’on n’invente jamais vraiment... Ce qui explique que plus on écrit, plus on est à l’aise pour écrire, chaque texte déjà fabriqué est disponible pour être, même (et surtout !) involontairement, pillé à son tour, élargissant ainsi les ressources du scripteur.

- Les écrits intermédiaires jouent le rôle d’outils : ils fournissent différentes solutions disponibles dans le groupe-classe et un éventail d’éléments à réutiliser, d’autant plus accessibles qu’ils sont produits sous des formes proches de ce que les élèves peuvent produire. Il est opportun de favoriser une large place aux moments de mise en commun des textes produits, ainsi que dans le cahier de travail (page libre en vis-à-vis) pour des annotations par les pairs : questions, reformulations, appréciations négatives et aussi positives. Ces temps d’écoute et ces annotations sont toujours très attendus par les élèves, parce qu’ils éprouvent un vrai plaisir, une vraie fierté d’auteur à lire leurs productions, et cela seul justifierait le temps passé à ces interlectures. Un des éléments importants est pour l’élève la construction d’un statut d’auteur, sujet de ses propres écrits, composante essentielle d’un rapport à l’écrit positif. L’auditoire peut se voir un rôle plus actif de critique et de commentateur : demandes d’explications, critiques, mises en relief de l’originalité.

- Apprendre à lire les textes des autres, c’est apprendre à relire ses propres textes, et c’est donc une partie du savoir-réécrire qui mérite d’être identifiée comme une compétence à travailler spécifiquement. La séance de relecture-critique peut être ouverte à toutes les remarques possibles : il convient de délimiter les secteurs sur lesquels va porter l’attention, faire varier le domaine sur lequel porte la relecture collective peut aussi varier : métalinguistique, très guidé par le maître qui aide les élèves dans le commentaire des formes et de leur usage selon les contextes de travail ; sémantique (co-construction des significations des textes entre pairs).

- En conclusion :

- Discuter et comparer, négocier, réécrire : si l’écriture commence presque toujours par un travail individuel, elle repart, elle évolue et se réoriente grâce aux échanges organisés autour des écrits avec un travail collectif. Paradoxalement, l’écriture n’est pas une activité solitaire.
- De plus, concluons que l’acquisition du langage se fait aussi par appropriation des discours disponibles par une série continue de reprises-transformations, au cours de laquelle le sujet réemploie des éléments apportés par d’autres. C’est ainsi le principe de l’atelier d’écriture et de toute situation dans laquelle les écrits sont nombreux et mis en commun.

Post-Scriptum
Ce texte synthétisé est extrait d’un ouvrage, résultat d’un travail d’équipe, dirigé par Dominique Bucheton, coordonné et rédigé par Jean-Charles Chabanne : Écrire en ZEP : un autre regard sur les écrits des élèves, Delagrave-CRDP de Versailles, 2002. Source du document : http://www.bienlire.education.fr/02...