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Construire le sens de la récréation

dimanche 24 janvier 2021, par phil

Comment pourrait-on définir la récréationdu point de vue de l’enfant ?

La récréation est un espace libre qui permet la transmission de toute la culture enfantine. Il y a des jeux qui traversent les années, voire les décennies, comme les jeux de ballon, les cordes à sauter, les litanies et chansonnettes. Et puis de nouveaux jeux apparaissent, comme les cartes à échanger et les collections à constituer. Ce temps remplit donc plusieurs fonctions : de socialisation et d’apprentissage avec les pairs, notamment par le partage de codes et de règles communs. Mais il y a aussi toute la dimension symbolique du jeu, qui consiste à endosser des rôles imaginaires ou réels qui font rêver ou qui effraient... Du coup, si un enfant est exclu d’un jeu, cela peut constituer un vrai drame, d’autant que certains acquièrent très tôt les stratégies pour être choisis ou pour éviter tel ou tel camarade...

Ces moments de « vivre ensemble » participent de la construction de l’identité de l’enfant...

Oui, l’enfant qui joue dehors est dans le jeu « libre », ce qui signifie qu’il va développer sa personnalité par le moteur, le cognitif, le social... Mais il va aussi construire son identité sexuelle car si les jeux sont essentiellement mixtes à l’école maternelle, on observe que certains sont plus marqués par le genre, comme la marelle ou le football par exemple. Quand on les interroge, les filles disent aimer la récréation parce qu’elles apprécient se parler, échanger des choses entre elles ou jouer tel ou tel personnage de télévision. Les garçons, en revanche, s’ils aiment partager ces moments entre copains, vont préférer les jeux de poursuite, de bagarre « pour de faux », souvent en monopolisant l’espace de la cour...

Le comportement des enfants en récréation peut donc poser problème ?

Pour la plupart des enfants, ces moments de récréation sont de vraies bouffées d’oxygène et ne posent pas de problème. Mais quand on regarde cet espace ouvert, du point de vue du développement de l’enfant, on se rend compte que beaucoup d’entre eux ne perçoivent pas qu’il peut fournir des repères structurants, ce qui peut les insécuriser. Par exemple, il n’est pas rare qu’en maternelle un enfant reste près d’un(e) camarade ou qu’il tienne la main de la maîtresse tout le temps de la récréation... Tout comme il est essentiel pour l’élève de donner du sens à l’école comme lieu de savoir, il lui faut construire le sens de la récréation.

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Quel est le cadre idéal pour la récréation ?

Plus on a d’enfants, plus on a de conflits et de danger potentiel. L’espace doit être suffisamment grand pour offrir des sousespaces propices à des activités différenciées : jeux de ballon, jeux de course, jeux plus calmes... Tous les enfants sont à la recherche de lieux secrets, un peu isolés de l’agitation. Je pense aussi qu’il y a un intérêt, quand c’est possible, à mélanger les âges. Cela permet de maintenir les contacts entre les fratries et de favoriser les apprentissages des plus jeunes au contact des plus grands

Violences, brimades, harcèlement : comment lutter contre ces dérapages ?

Même s’ils font la une de l’actualité, ces phénomènes ne sont pas nouveaux Les chercheurs et les historiens, comme la littérature, ont montré qu’ils sont inhérents aux collectivités d’enfants. Le rôle des adultes est de donner aux enfants la possibilité de réfléchir afin de passer de la violence physique à la parole. Mais attention à apporter une réponse satisfaisante à l’enfant agressé qui doit avant tout « sauver la face » pour préserver l’estime de soi.

Les relations garçon -fille sont souvent au coeur des préoccupations enfantines pendant la récré.

L’école a institué la mixité en pré-supposant à tort qu’une relation égalitaire entre les sexes allait s’établir d’elle-même. Les enfants doivent se débrouiller au quotidien de cette réalité. Ils vivent la différence des sexes en s’appropriant ce que la société leur donne à voir. En se comportant de la manière attendue, il reproduisent des stéréotypes correspondant à la demande sociale avec une hiérarchie des sexes et une suprématie du masculin sur le féminin. Pendant la récréation, les enfants construisent une partie de leur identité par affinité avec les enfants de leur sexe. Il y a là un paradoxe entre la réalité et les discours bien-pensants qu’on retrouve aussi en classe car les enseignants n’ont pas la même attitude envers les filles et les garçons.

Post-Scriptum
Christine Brisset Maître de conférences à l’Université Picardie Jules Verne - I.U.F.M. de l’académie d’Amiens.

Julie Delalande Ethnologue, professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Caen


Source : Fenêtres sur cours SNUIPP