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Vous avez dit pédagogie ?

mardi 5 janvier 2021, par phil

- La pédagogie est-elle un art ? On l’a longtemps cru. On a longtemps pensé qu’il existait un art d’éduquer les enfants, que cette activité relevait d’une habileté. Le pédagogue était cette personne qui avait le don spécial (souvent supposé) de conduire l’élève sur les chemins du savoir. Cette représentation fut très forte et persiste encore par certains égards. On oppose encore le bon charisme de l’enseignant, un savoir-faire naturel à la notion de professionnalisation des maîtres d’école rebaptisés professeur-e des écoles.

- Reconnaissons que la pédagogie, cette activité consistant à mener vers des connaissances des enfants, n’est pas de l’ordre d’une science dure et précise, l’enseignant n’est pas un métronome et les élèves ne sont pas des êtres que l’on peut gaver de savoirs. Elle est un art dans la mesure où elle tend vers une visée pratique, une visée qui n’est pas "naturelle" mais exige comme pour l’artiste peintre ou musicien l’étude et l’expérience du métier. Le pédagogue doit user de ses savoirs pour faire autorité, de son expérience pour jouer de la ruse et de l’habileté, et de son savoir-être dans la gestion d’un groupe d’élève...

- Ici un certain charisme peut jouer, mais il ne peut être tout. On revendique à la fin du XIXe siècle pour la pédagogie un statut scientifique ; toutefois on précise qu’elle est une science bien particulière. Son but n’est pas de décrire ou d’expliquer, mais de diriger l’action. La pédagogie est une science normative qui prescrit ce qu’il convient de faire. Ses recherches sont marquées par l’incertitude comme la plupart des sciences humaines (dites sciences "molles" en opposition aux sciences "dures" comme les maths ou la physique). L’objet des recherches pédagogiques est variable, il évolue avec les besoins, les voeux, les valeurs de la société, à une époque donnée. C’est également être une recherche méthodique sur les fins et les moyens de l’éducation.

- La pédagogie se nourrit aussi des connaissances élaborés par des sciences d’appui comme la psychologie, la psychologie sociale, les sciences de l’éducation, l’histoire, la sociologie, les sciences cognitives... Ces dernières lui permettent d’élaborer des théories. Non, des conseils, encore moins des conseils, des directives ou des recettes. Ce qu’attendent à tort les étudiants en formation des maîtres (IUFM). La pédagogie articule connaissance et expérience, savoir et action. "Le pédagogue est un décideur, mais sa décision, pour être efficace, doit être éclairée par la connaissance et entrer dans la cohérence d’une méthode". On reconnaît de nos jours la nature praxéologique de la pédagogie, une théorie en acte. La visée pédagogique est d’améliorer une situation réelle et comprendre les déterminants (psycho, socio et historique...) et les principes générateurs de l’action éducative. "La pédagogie se situe donc au noeud qui lie l’action éducative et les raisons théoriques qui fondent ou analysent cette action, en d’en régler le développement".

- Dans l’Antiquité grecque, le pédagogue était l’esclave attaché à une famille ayant la charge de conduire l’enfant à l’école et l’en ramener. Rapidement son rôle prit de l’importance (surveillance, habillement, entretien, jeux et étude). Pendant quinze ans, il était à la fois le surveillant, le directeur de conscience et le conseiller pédagogique de l’enfant. On peut dire qu’il était un éducateur au sens moderne du terme, avec une mission parmi les plus nobles, mais n’était-il pas également un esclave, une connotation péjorative... Toutes les sociétés, tous les groupes humains, sous toutes les latitudes, à toutes les époques ont un souci d’intégration des plus jeunes dans leur culture en leur transmettant des savoirs, des savoir-faire et des valeurs par diverses médiations.

- Si l’enseignement date des sophistes dans la Grèce du Ve siècle avant J.C. ou celle de l’école au Moyen Age, c’est au XVIIe siècle qu’apparaît vraiment la volonté de construire un savoir méthodique particulier, une codification des savoirs avec des pédagogues du nom de Comenius et Jean-Baptiste de La Salle. On peut dater de 1880 la naissance intellectuelle et institutionnelle de la pédagogie avec un enseignement dans des facultés prestigieuses. Objet de recherche à l’INRP (Institut National de recherche Pédagogique) et à l’Université, la pédagogie s’enseigne dans les IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) et les plans de formation du Ministère de l’Education Nationale (MEN). La pédagogie présentent bien des difficultés pour bien unir dans une même dynamique, un même mouvement de pensée : la théorie et l’action éducative. Une ambiguïté ? La pédagogie traverse des champs qui s’entrecroisent ou se confondent. Les spécificités de la pédagogie peuvent apparaître par opposition à la notion de didactique. Si cette dernière s’intéresse à la logique des contenus à transmettre, la pédagogie s’intéresse à la logique de la relation éducative en classe.

- Education et formation visent le développement de la personne. Ils répondent à un devoir "d’humanisation" de l’individu par un processus de transmission/appropriation de comportements, de savoirs, de valeurs. Pour différencier les deux termes, il faut se pencher sur la manière ou le processus transmissif. Avec l’éducation, il y a médiation qu’il s’agisse d’un parent, d’un éducateur, ou d’un enseignant) ; avec la formation, cette médiation n’est pas indispensable. Le sujet apprenant peut être l’agent de sa propre formation dans le cadre d’une auto-formation. Il est plutôt dans l’apprentissage, un apprendre ou "prendre avec soi" actif que dans un principe d’enseignement plutôt "passif". Depuis les années 1950, le terme "formation" renvoie à la formation professionnelle et continue des adultes. Par rapport à ces termes, la pédagogie s’inscrit dans le champ des moyens utilisés pour atteindre les objectifs souhaités . Après codification, analyse des procédés jugés les plus efficients pour l’enseignement/apprentissage des contenus, la recherche pédagogique détermine des principes, des méthodes, et des outils pédagogiques pertinents. La pédagogie se centre de nos jours sur le "comment apprend-on ?" , un préalable au "comment enseigne t-on ?" . Elle focalise désormais sur l’apprenant, elle se préoccupe de "l’optimisation de ses apprentissages".

- Didactique et pédagogie, quelles différences ?

- La didactique s’intéresse au processus d’acquisition/transmission des connaissances à partir du point de vue des savoirs ; la pédagogie porte sur les relations maîtres-élèves ou élèves entre eux dans une situation d’apprentissage. La didactique questionne les savoirs, les contenus savants : comment sont constitués les savoirs enseignés ? comment les décomposer ? comment les hiérarchiser ? comment les transmettre ? comment transmettre de façon efficace une notion ? comment évaluer ? comment remédier à des incompréhension ? quelles procédures enseignantes choisir ? pourquoi, comment les mettre en œuvre ? La didactique s’applique aussi au rapport de l’élève au savoir spécifique enseigné : quelles procédures il utilise ? quelles sont ses difficultés ? d’où viennent -elles ? comment y remédier ?

- Le triangle pédagogique est un fonctionnement systémique !!

- "Instaurer un équilibre ni stable, ni instable mais métastable entre les trois composantes du triangle pédagogique, l’apprenant, l’enseignant, l’objet à apprendre et à enseigner..." (Daniel Hameline) Le triangle pédagogique est un système triangulaires d’interactions complexes dont les trois pôles sont : - le savoir, - l’enseignant, - l’apprenant.

- Entre le savoir et l’enseignant s’établit une interaction pour l’élaboration didactique (c’est la logique des contenus à transmettre) ; entre l’enseignant et l’apprenant s’établit une relation pédagogique, entre l’apprenant et le savoir s’élabore une interaction fondé sur les stratégies d’apprentissages. Le rôle de la pédagogie et de la didactique est de maîtriser ces interactions. Il faut les prévoir, les réguler afin que l’apprentissage soit le plus efficace possible. C’est toujours un équilibre difficile à réaliser, il faut toujours le reconstruire en fonction des notions à transmettre, des différents objectifs visés, du public scolaire, des moments d’éducation...

- Tous les axes du triangle pédagogiques doivent fonctionner entre eux, leurs interactions sont essentielles. Le fonctionnement du triangle est systémique. Privilégier un pôle sur un autre peut entraîner des dérives certaines. Une pédagogie traditionnelle privilégie constamment le rôle du savoir et la démarche didactique de l’enseignement avec l’idée sous-jacente que le savoir porterait en lui-même les conditions de son appropriation par les élèves- ce qui est un leurre. Une pédagogie uniquement fondée sur l’axe relationnel privilégie inversement la relation pédagogique et toutes ses interactions. Elle en occulte la fonction de transmission de contenus de l’école. Quant à s’en tenir aux seules conditions stratégiques d’apprentissage de l’élève, c’est nier l’enseignant et son rôle de médiation. C’est alors privilégier un système d’autoformation.

- En résumé : savoirs & didactique des contenus + relation pédagogique enseignants/élèves & interactions éleves/élèves + stratégies d’apprentissages des apprenants = le triangle pédagogique !

- Michel Develay caractérise la pédagogie et la didactique comme suit : "Tout montre que pour enseigner une situation d’apprentissage/enseignement, didactique et pédagogie sont intimement confondues... Didactique et pédagogie sont tricotées ensemble au niveau de l’action, alors qu’il est possible de les détricoter au niveau de l’analyse. On pourrait dire encore que la didactique pense la logique de la classe à partir de la logique du savoir et que la pédagogie pense la logique du savoir à partir de la logique de la classe." (in "Didactique des disciplines, pédagogie, didactique générale" ; Bulletin de l’AECSE 1992, n°13, p.23).

- HAUT LIEU DE FORMATION SUR LA PÉDAGOGIE :

- Le modèle de la formation initiale restant trop souvent de type transmissif magistral, comment le jeune professeur pourra t-il pratiquer avec ses élèves un modèle différent de celui dans lequel on le baigne, des exemples qu’il vit à l’IUFM, dont la représentation s’impose à lui ?
- Considérant que l’enseignant est avant tout un professionnel de la relation humaine, il doit pouvoir bénéficier d’une aide au développement personnel pour gérer ses relations avec les différents acteurs de la communauté éducative ( élèves, collègue, hiérarchie pédagogique et administrative, parents, familles), d’une aide sur le terrain à instituer avec des réunions régulières de débriefing en équipe pédagogique. Le futur enseignant doit aussi pouvoir prendre conscience de ses propres représentations du métier, de s façon de l’exercer, de sa propre "mise en scène", de ses répercussions sur la communication...

- La MAFPEN (Missions académiques à la formation des personnels de l’éducation nationale) fut remplacée par les IUFM en 99/2000. La formation continue des enseignants se veut être un instrument d’évolution des pratiques pédagogiques tout en assurant un complément de formation et une mise à jour des connaissances pour tous. Elle s’appuie aussi sur une analyse des pratiques sous des formes diverses ( allant du groupe de parole au groupe de soutien de type Balint) en session courte ou en rendez-vous échelonnés sur l’année scolaire. "Ces groupes d’analyse des situations éducatives permettent d’aborder les difficultés rencontrées dans les classes, avec les élèves bien réels de chaque enseignant" (Nathan Repères). "Ces séances d’analyse peuvent utiliser un point de départ écrit ou oral proposé par l’un des participants, demander une présence régulatrice plus ou moins directive d’un animateur, protéger psychologiquement les participants par un ensemble de règles de fonctionnement plus ou moins strictes. L’essentiel est que l’on s’efforce d’observer, d’écouter, de questionner les faits dans leur complexité, sans les juger, et que chacun est amené à en tirer, pour soi, des règles d’action. En analysant des situations suffisamment diversifiées d’apprentissage/enseignement on peut en dégager progressivement des compétences à acquérir, ce qui donne sens à la formation nécessaire ; Chacun peut comprendre, assumer, et trouver sa propre réponse aux difficultés rencontrées (...) Pour faire évoluer les pratiques pédagogiques, la formation doit elle-même rompre avec un modèle trop étroitement transmissif. Si l’enseignement doit développer l’autonomie des élèves, leur faire définir des objectifs et un projet d’apprentissage, les conduire à l’évaluation formative en leur faisant pratiquer la métacognition, la formation des enseignants doit se calquer sur ce modèle. Replacer celui qui enseigne dans la situation de celui qui apprend permet d’approfondir la réflexion et d’ancrer les savoirs nouveaux sur l’apprentissage dans le vécu et l’éprouvé immédiats. Le partage des "recettes" devient une occasion de se former quand la réflexion sur les présupposés, les implications, les effets de ces pratiques suscite le recours à la théorie pour éclairer les choix et l’envie d’acquérir des techniques nouvelles".

- Les IUFM ont remplacé en 1991 les Ecoles Normales d’instituteurs (EN) et les ENNA (écoles normales nationales d’apprentissage), les CPR (centres pédagogiques régionaux). Les EN avaient une longue tradition d’enseignement fondée sur la psychopédagogie et donnaient une forte identité professionnelle. Les ENNA formait les professeurs de l’enseignement professionnel. Les professeurs du secondaire jugeaient leur formation au travers des CPR bien insuffisante, car essentiellement fondée sur l’imitation d’un "modèle" donné par le conseiller pédagogique, sur l’acquisition de "recettes" à utiliser dans l’urgence de la rapide confrontation du professeur stagiaire avec les élèves . Si la formation des profs du secondaire donnait d’emblée une entrée et un suivi personnalisé fort sur le terrain, contrairement aux futurs professeurs des écoles (pour lesquels la formation est trop théorique et aussi incomplète en terme théorique et pratique), les futurs professeurs des collèges et lycées manquaient d’un recul sur leur pratique, d’information et analyse sur les pratiques des autres enseignants ( dans la même discipline ou voisine) afin d’élaborer personnellement un savoir enseigner. Car la question fondamentale dans les IUFM est l’élaboration personnelle du savoir enseigner...

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